« La BCE doit maintenir une politique souple »

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Ils parlent de nous 13/05/2019

« La BCE doit maintenir une politique souple »

ODDO BHF6 Minutes

Article paru le 03 mai 2019 dans Les Echos investir

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Bruno Cavalier ne croit pas une prise du pouvoir des eurosceptiques lors des élections européennes. La politique monétaire doit rester stimulante mais un nouveau QE n’est pas nécessaire.


Quel résultat attendez-vous des élections européennes du 23 au 26 mai ?

Une chose est certaine, il n’y aura pas de majorité antieuropéenne au Parlement. Qu’on les nomme eurosceptiques, antieuro, populistes ou extrémistes, les forces politiques qui remettent en question l’Union européenne devraient représenter environ un tiers des députés au Parlement européen. De plus, leur poids réel sera réduit car ils ne sont pas unis, chacun défendant un certain nationalisme économique. L’autre certitude, c’est la fragmentation de l’offre politique. Ces élections marqueront sans doute la fin du système droite-gauche, où deux blocs pouvaient faire une majorité. Il faudra inclure un troisième ou un quatrième partenaire (LREM en France, Ciudadanos en Espagne, Verts en Allemagne). Le Parlement européen restera dominé par une grande coalition à l’allemande, mais plus diverse que par le passé.


La percée populiste n’est donc pas si vive ?

Les partis populistes soulignent, avec raison, que l’Union européenne a failli à tenir ses promesses. Promesse de prospérité : on a eu deux crises économiques et financières en 2008-2009 et en 2011-2012. Promesse de sécurité : il y a eu la crise migratoire de 2015. Dans ces conditions, il est difficile de faire progresser l’intégration en Europe. Cela dit, tout le monde ou presque comprend que la « désintégration » est encore plus compliquée. On l’a vu lors de la crise grecque de 2015, quand le gouvernement Tsipras a finalement réalisé que quitter l’euro serait encore plus dramatique que d’accepter les mesures d’austérité. On continue de l’observer dans la saga du Brexit. Bientôt trois ans après le référendum, il n’y a aucun plan qui se substitue avantageusement à l’Union européenne. L’opinion publique européenne est donc largement revenue sur l’idée de faire « sauter » le système, aussi imparfait soit-il. Il est certainement préférable de rester ensemble et de tenter d’améliorer l’existant que de risquer le chaos.


Le Brexit n’est toujours pas une réalité et le Royaume-Uni va participer aux élections européennes. Concrètement, comment gérer cette situation ?

La situation ne manque pas d’ironie. Le Royaume-Uni veut quitter l’UE, mais va devoir élire des députés au Parlement européen. Il était prévu que les postes de ces députés soient réalloués à d’autres pays. En fait, il faudra garder provisoirement l’ancienne répartition. Il est peu probable que le Royaume-Uni tente de faire de l’obstruction au fonctionnement des institutions car il est en position de demandeur d’un nouvel accord commercial. De surcroît, les traités exigent que les Etats membres agissent de bonne foi.


La zone euro est-elle malgré tout plus solide qu’avant la crise ?

Il y a eu des évolutions profondes en dix ans. L’architecture institutionnelle est renforcée. La zone euro dispose désormais, par exemple, du mécanisme européen de stabilité, institution dotée d’un capital, avec des procédures claires pour activer des programmes d’aide. On a aussi reconnu les limites de certaines règles budgétaires, comme les critères de Maastricht en matière de déficit (3 % du PIB) et de la dette (60 %). Enfin, le champ d’intervention de la Banque centrale européenne (BCE) s’est beaucoup élargi, avec une lecture plus pragmatique de son mandat.


C’est donc grâce à la BCE ?

A mes yeux, il n’y a pas de doute que le bilan de Mario Draghi est très positif. Grâce à lui, la conduite de la politique monétaire a été adaptée à des conditions financières exceptionnelles. De ce fait, l’intégrité de la zone euro a été préservée en 2012 quand elle était sérieusement menacée. La fragmentation des conditions d’emprunt entre pays a pu se corriger dès 2013. Le risque de déflation a été évité en 2015. En somme, avec Draghi, on est passé d’un système assez rigide, qu’on pourrait qualifier de germanique (Bundesbank), à un mode d’intervention pragmatique, pratiqué par les banques centrales du monde anglo-saxon (Fed, Banque d’Angleterre). Draghi réunit trois qualités essentielles, à savoir une parfaite compréhension de l’économie, un talent de communication avec les intervenants des marchés financiers et l’opinion publique et, enfin, une bonne entente avec les responsables politiques sans sacrifier l’indépendance de la BCE. A ce sujet, on peut comparer deux programmes d’intervention de la BCE. En 2012, au plus fort de la crise de l’euro, la BCE a annoncé, avec l’aval implicite de la chancelière allemande et du président français, la création d’un programme OMT qui aurait permis d’aider les pays en difficulté. La crédibilité de ce programme a été si forte qu’il n’a jamais été besoin de l’activer.

A l’opposé, en 2010, sous Trichet, la BCE avait mis en œuvre un programme dit SMP – une sorte de QE avant l’heure – dans des conditions opaques, sans appui politique, et cela a été un échec car personne n’y a cru. Le problème, désormais, est de trouver un successeur à la hauteur de Draghi. Idéalement, on souhaiterait que le prochain président de la BCE ait les trois qualités mentionnées. Les candidats éminents existent certainement, mais on sait aussi que le choix va être influencé par des considérations qui n’ont rien à voir avec les compétences, comme la nationalité. Chaque pays va chercher à pousser ses candidats à la tête de la BCE, mais aussi à la tête de la Commission, du Conseil et du Parlement. Ce genre d’arbitrage, peu transparent, n’est pas désirable, mais c’est ainsi. On sait aussi que l’Allemagne souhaite obtenir la présidence de la BCE pour l’actuel chef de la Bundesbank, Jens Weidmann. Ce serait à mon sens un mauvais choix car, depuis huit ans, la Bundesbank n’a pas cessé de s’opposer aux initiatives monétaires rendues nécessaires par la crise ou d’en freiner l’adoption. En 2012, seul Weidmann s’est opposé au programme OMT. S’il avait pu imposer ses vues au Conseil des gouverneurs, il est probable que la zone euro se serait disloquée. La Bundesbank a aussi contesté le programme d’achats d’actifs (QE) devant la Cour constitutionnelle allemande, puis devant la Cour européenne de justice, qui a donné raison à la BCE !


La BCE semble dans l’embarras. Que peut-elle faire alors que la conjoncture s’essouffle ?

La BCE doit maintenir des conditions monétaires accommodantes et, surtout, se garder de revenir de manière trop précoce à la situation d’avant la crise, même si celle-ci est finie. L’argument qui consiste à dire qu’il faut remonter les taux maintenant pour pouvoir mieux les rebaisser à l’avenir est risible ou dangereux. Cela étant, les banques centrales ne peuvent pas tout. Leur fonction est d’assurer la stabilité des prix, c’est-à-dire une faible inflation, et la stabilité financière. Mais la politique monétaire ne peut se substituer aux politiques budgétaires pour faire de la relance, ou aux politiques d’éducation pour améliorer la qualité de la force de travail, ou aux politiques d’innovation. C’est là le rôle des gouvernements. Là, on butte sur certaines contraintes, la faiblesse du budget commun européen et, bien sûr, un certain penchant à raisonner en termes d’intérêts nationaux uniquement.


Et les taux négatifs…

C’est typiquement le genre d’actions qui ont été décidées sous la contrainte, dans l’urgence, et dont les effets induits se révèlent à la longue dommageables. Lors de leur introduction, en 2014, personne ne pensait qu’ils seraient toujours en vigueur en 2019 et sans doute encore en 2020 ! A l’époque, ils ont permis de renforcer la crédibilité de la BCE. N’oublions pas non plus que la BCE s’est lancée dans cette voie parce que la Bundesbank continuait de s’opposer au QE. C’était donc une sorte de pis-aller. Quoi qu’il en soit, les taux négatifs représentent un coût pour les banques qui ont des liquidités en dépôt à la BCE. C’est gênant alors qu’on attend des banques qu’elles octroient des crédits à l’économie. L’efficacité de la politique monétaire s’en trouve affaiblie. Il s’agit là d’un problème réel, mais de second ordre par rapport aux autres effets positifs résultant d’une politique monétaire assouplie. Que faire alors ? Remonter les taux à zéro serait risqué car cela pourrait être interprété comme le début d’une normalisation monétaire. La courbe des taux serait poussée vers le haut, avec un coût plus important pour les entreprises et les ménages qui souhaiteraient emprunter. On sait que la BCE réfléchit à une compensation de cette taxe sur les banques.


Que va-t-elle décider dans les prochains mois ?

Cela va dépendre de l’évolution de la conjoncture européenne et mondiale. Depuis la fin de la crise financière, en 2009, il y a eu trois épisodes de faiblesse : en 2011-2012, avec la rechute en récession de la zone euro, en 2015, avec le contre-choc pétrolier et son impact sur l’investissement, et enfin l’épisode en cours. A l’heure actuelle, la faiblesse est surtout concentrée dans l’industrie. En fait, on observe une dualité de l’économie européenne, plombée par l’industrie mais sauvée par les services et la construction. Autrement dit, c’est un grand écart entre, d’un côté, la demande intérieure, qui se tient bien, de même que les créations d’emplois et la distribution du crédit, et, de l’autre, le commerce extérieur et le secteur manufacturier. Les attaques contre le libre-échange par l’administration Trump perturbent les chaînes de production internationales et réduisent les exportations. A cela s’ajoute la crise existentielle du secteur automobile, confronté à des normes environnementales extrêmement strictes. Aux dernières nouvelles, il semblerait que les chocs extérieurs tendent à se tasser. Un accord commercial entre Pékin et Washington est imminent, dit-on. L’économie chinoise donne des signes de stabilisation. Le Brexit ne sera pas chaotique et, en tout cas, il est différé. L’industrie est en passe de terminer son ajustement de stocks tandis que la demande intérieure est plutôt solide.

A mon avis, le ralentissement économique, qui n’a cessé de s’amplifier en Europe depuis le début de 2018, est en train de s’achever. Dans ce cadre, la BCE doit maintenir une politique assouplie, si possible en corrigeant les distorsions induites par les taux négatifs. Mais il n’y a pas matière à relancer le programme d’achats d’actifs. A contrario, si la faiblesse de la croissance devait perdurer, c’est l’outil budgétaire qu’il serait souhaitable de mobiliser. En France, il y a déjà eu des mesures de soutien au pouvoir d’achat, mais les marges de manœuvre ne sont pas illimitées. Elles sont bien plus vastes de l’autre côté du Rhin, mais, comme on sait, l’Allemagne a le fétichisme des excédents budgétaires, comme nous avons, en France, la religion des déficits."

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