Le coronavirus, un choc de demande

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Point marchés 31/01/2020

Le coronavirus, un choc de demande

ODDO BHF4 Minutes

Pourquoi la croissance est-elle cyclique ? Il n'y a pas de réponse simple à cette question qui semble à priori banale, et chacun aura sa petite idée sur la question. Certains vous parleront de politique monétaire, d'autres de politique fiscale, de la hausse des prix du pétrole, des risques géopolitiques, etc. Les économistes aussi se sont penchés sur la question, notamment le fameux Kondratieff, dont le nom jaillit aussitôt dès que le sujet du cycle surgit lors d'une conversation quelconque. Pourtant, nous aimerions bien qu'on oublie une fois pour toute ce brave Kondratieff, car s'il y a bien une chose que les statistiques et l'économétrie ont établi, c'est que la croissance n'est pas cyclique

Plus exactement, le mot cyclique n'est pas adapté, car il introduit aussitôt des images de régularité, et on imagine, en parlant de cycle, une belle fluctuation sinusoïdale de la croissance, avec des pics et des creux s'enroulant à intervalles fixes autour d'une moyenne stable. Or rien n'est plus faux. Oui, la croissance fluctue, c'est une évidence. Mais ces fluctuations sont complètement désordonnées, n'obéissent à aucun schéma prédéfini, et pire encore, la moyenne de la croissance montre des signes fâcheux d'instabilité. 

Ainsi, l'expérience des « Trente glorieuses » a pu nous faire croire que la croissance moyenne de la France était de 5% tandis que l'expérience récente nous amène à penser qu'elle est plutôt de l'ordre de 1%. Mais il y a fort à parier qu'en 2070, il en sera encore autrement. En réalité, les fluctuations de la croissance, loin d'être régulières, sont parfaitement hasardeuses. Le modèle du « cycle » (puisqu'il faut l'appeler par ce nom) le plus pertinent, serait celui d'une économie croissante le long d'une tendance aléatoire,  - « stochastique »  disent les économistes qui, en bons universitaires, aiment bien habiller leurs concepts de grec ancien - bombardée par des chocs tout aussi stochastiques, que sont les évènements mentionnés plus haut (politique monétaire, fiscalité, pétrole, etc.). 

Ce modèle de « tendance stochastique » ne nous aide pas beaucoup pour prévoir les fluctuations de la croissance pour le prochain trimestre. Mais il nous donne déjà plusieurs indications : d'une part, il est difficile de prévoir les cycles ; d'autre part, les cycles ne meurent pas de vieillesse mais sont plutôt victimes d'accidents, de « chocs », qui revêtent de multiples formes. Les économistes – et les modèles économétriques – catégorisent les chocs en deux sortes : 
1/ les chocs de demande, chocs de court terme, qui sont sans influence sur la tendance, même si leurs effets sont visibles à court terme ; 
2/ les chocs d'offre qui eux ont un impact direct sur la tendance, c'est-à-dire sur le long terme, sans avoir forcément d'effet immédiat. 

Le cas typique du choc de demande est un changement inattendu de la politique monétaire, une récolte exceptionnelle, un hiver particulièrement froid, la « prime à la casse » pour les voitures d'occasion. Les grèves (si elles ne débouchent pas sur une révolution !) sont aussi des exemples de chocs de demande. Ce qui est perdu pendant la grève est généralement rattrapé par la suite. 

Le choc d'offre par excellence est le choc technologique qui augmente la productivité. L'invention de la machine à vapeur, puis du moteur à explosion et du moteur électrique ont complètement révolutionné nos économies, tout comme l'internet. Le choc pétrolier de 1973 fut aussi un choc d'offre, tout comme certainement le sera le Brexit pour le Royaume-Uni. La décision des Britanniques de quitter l'Union Européenne aura des répercussions durables sur la trajectoire de croissance du Royaume-Uni. 

Comme tout modèle, cette distinction « choc d'offre / choc de demande » est une simplification d'une réalité plus complexe. Ainsi les baisses d'impôts constituent-elles un choc d'offre pour les économistes néo-classiques, en ce sens qu'elles sont censées favoriser la croissance, via l'investissement et l'offre de travail. Pour les keynésiens, ce ne seront que des chocs de demande. Les baisses d'impôts peuvent avoir un effet immédiat (soutenir la consommation) mais sans effet durable si ce n'est de creuser le déficit. La crise financière de 2008 était au départ un choc de demande, qui s'est transformé en choc d'offre, dans la mesure où elle a complètement modifié le système financier des économies développées. 

Forts de ces concepts nous pouvons maintenant réfléchir à l'impact de l'épidémie de coronavirus. La dangerosité d'une maladie infectieuse est liée à sa capacité de contagion et à son taux de mortalité. La rougeole se transmet facilement (sans précautions, un malade contamine en moyenne 15 personnes) mais avec un taux de mortalité relativement contenu (entre 0,2% et 0,3% des personnes touchées décèdent). A contrario, le virus Ebola a un taux de transmission beaucoup plus faible (1 malade contamine 2 personnes) mais un taux de mortalité effrayant (50% !). D'après ce que l'on sait aujourd'hui, le coronavirus serait comparable au SRAS, qui avait touché la Chine en 2003, avec un taux de transmission similaire (1,5 à 2,3 personnes contaminées par malade) mais un taux de mortalité deux fois moindre (5% vs 10%).  

L'hypothèse la plus probable, est que l'épidémie de coronavirus soit de même nature que l'épidémie de SRAS et donc un choc de demande. Elle sera peut-être plus marquée en termes d'étendue géographique et en nombre de personnes touchées, car les échanges entre la Chine et le reste du monde ont crû fortement, que ce soit sur le plan économique ou touristique, depuis 2003. D'un autre côté, la Chine et le reste du monde sont mieux préparés à faire face à ce genre d'épidémie. Aujourd'hui, il est donc raisonnable d'estimer que le choc lié à l'épidémie de coronavirus, est un choc de demande, qui affectera la croissance chinoise et mondiale de façon transitoire, de la même façon que le SRAS a impacté la croissance mondiale en 2003. A l'époque du SRAS il s'était écoulé 6 mois entre les premiers cas signalés (janvier 2003) et le pic de la contamination (juin 2003). La bourse, qui dans ce contexte est relativement efficiente, avait commencé à baisser dès le signalement des premiers cas, puis avait connu son creux en mars, trois mois avant le pic de l'épidémie. L'impact d'un choc de demande sur les cours boursiers est également limité dans le temps en ampleur. 

Il faut évidemment souhaiter que notre hypothèse se vérifie, que le coronavirus soit un choc transitoire, avec le moins de morts possible. La croissance mondiale sera sans nul doute affectée au 1er semestre, voire au 2ème semestre. Il est cependant raisonnable de penser que tout sera rentré dans l'ordre d'ici  la fin de l'année 2020. Néanmoins, on ne peut pas exclure un scénario plus défavorable qui verrait une mutation du virus vers une espèce nettement plus dangereuse, que ce soit sur le plan de la transmission et surtout de la mortalité. Si par malheur, le coronavirus mutant atteignait le taux de mortalité du virus Ebola, notre choc de demande lui aussi muterait, vers un choc d'offre, avec des conséquences très négatives sur le plan humain, économique et boursier. Mais pour l'instant, heureusement, il semblerait que nous en sommes loin. 


Hugues de Montvalon
Gérant de portefeuille
ODDO BHF Banque Privée
Rédigé le 31 janvier 2020


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