Propriétaires immobiliers : et si la jouissance de votre logement devenait imposable ?

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Patrimoine 15/02/2024

Propriétaires immobiliers : et si la jouissance de votre logement devenait imposable ?

ODDO BHF5 Minutes

Une étude publiée en décembre 2023 par l'INSEE, intitulée « La non-imposition des loyers imputés : un cadeau pour Harpagon ? », passée assez inaperçue, remet sur le métier un sujet éculé et ô combien non consensuel, celui de l'imposition du revenu en nature correspondant à l'occupation des biens dont vous êtes propriétaire et dont vous vous réservez la jouissance. Sortie une nouvelle fois de la boîte de pandore fiscale française que l'on ne manque pas d'ouvrir chaque fois que le sujet des inégalités de richesse est évoqué et que la fiscalité est fatalement convoquée pour y remédier, l'étude propose une nouvelle fois de prendre en considération cette taxation.  

Et quelle meilleure « mamelle » fiscale que celle représentée par le patrimoine immobilier des Français propriétaires, qui représente plus de 50% du patrimoine total des ménages ? L'étude ne s'en cache pas puisqu‘elle reconnaît « qu'il semblerait plus efficace (et donc plus facile) de taxer le logement plutôt que tout autre type de capital ».

L'objet de l'étude concerne donc l'imposition des loyers fictifs, ou implicites, autrement dit l'avantage que constituerait pour les propriétaires occupants la jouissance « gratuite » (comprenez sans imposition) de leur logement, comparativement à des locataires qui doivent verser un loyer pour se loger. « À salaire égal, un propriétaire est plus avantagé qu'un locataire » indique l'étude. Cette « non-imposition des loyers imputés » pour les propriétaires occupants constituerait une distorsion injustifiée, facteur d'inégalités et de surcroît coûteuse pour les finances publiques.

Avant même de pénétrer le cœur de l'argumentaire déployé par les auteurs de l'étude, on sent déjà affleurer dès la lecture du titre un regrettable dogmatisme : la comparaison caricaturale et incongrue entre les propriétaires immobiliers et l'avare, bourgeois et riche, de Molière, nous laissant pour le moins perplexe.

Cette question de l'imposition des revenus « fictifs » des propriétaires occupants n'a pas toujours été qu'un dogme. Cette imposition s'est appliquée en France de 1914 à la fin de l'année 1965. Le Président Giscard d'Estaing avait alors abrogé ce dispositif afin d'encourager l'accession à la propriété par la classe moyenne. Mais aussi pour une raison alors inavouée : il coûtait trop cher à l'État.

Le fantôme de l'imposition des loyers fictifs est depuis réapparu à de nombreuses reprises, à la faveur de différentes études / rapports : celle de l'INSEE, déjà, en octobre 2005, celui de l'économiste Thomas Piketty en 2011 (dans son ouvrage « Pour une révolution fiscale »), celui du Conseil d'analyse économique en septembre 2013 (sur la « fiscalité des revenus du capital ») ou encore, plus récemment, du Think Tank Terra Nova en février 2015. 

La disparité croissante de richesses que fustige l'étude serait due, pour partie, à la hausse des prix de l'immobilier. Cette disparité, elle la juge à la fois intergénérationnelle et intragénérationnelle, faisant la démonstration, avec formules mathématiques à l'appui, que l'absence d'imposition (des loyers fictifs) pour les propriétaires occupants profite surtout aux plus riches et aux plus âgés (qui ont de surcroît bénéficié de fortes plus-values dans les années 2000). Déduire d'une telle analyse un constat aussi peu surprenant sur la forme, c'est un truisme plus qu'une révélation !!

Les loyers « non imputés » représenteraient 7% du revenu national net et leur non-imposition constituerait un manque à gagner pour l'État, compris entre 9 et 11 milliards d'euros, soit l'équivalent de ce que rapporte la taxe foncière sur les propriétaires occupants. La sémantique utilisée par les auteurs de l'étude pour qualifier cette non-imposition mérite d'ailleurs d'être relevée tant elle semble le fruit sinon d'une idéologie fiscale punitive du moins d'une aberration juridique et économique : « dépenses fiscales cachées », « subvention », « crédit d'impôt », « dépense publique ». À croire que le propriétaire occupant qui a épargné (après impôt) et consacré une partie de ses revenus nets pour acquérir son logement, serait un nanti « subventionné » qui par la simple jouissance gratuite et légitime de ce dernier contribue à obérer les finances de l'État et à creuser le sillon des inégalités sociales et patrimoniales.

Car même si l'étude vise davantage les propriétaires « de plein droit », autrement dit ceux qui n'ont pas eu recours à l'emprunt ou qui l'ont remboursé, elle n'intègre que trop peu la « chaine » des impositions et des dépenses subies par un propriétaire occupant : frais et droits d'acquisition, coût d'un emprunt, imposition sur les revenus du travail et / ou de l'épargne ayant permis l'acquisition et ou la rénovation du bien, travaux de réparation et d'entretien, taxe foncière, impôt sur la fortune immobilière (pour certains), droits de mutation à titre gratuit au moment de la transmission du bien… Autant de contraintes et de charges qui, parfois, dissuadent même l'accession à la propriété.

Selon l'étude, la taxation des loyers fictifs pourrait efficacement remplacer la taxe foncière, c'est en tout cas un des scénarii avancés. Leur inclusion dans l'assiette de l'impôt sur le revenu constituerait ainsi un « outil de redistribution », au même titre que d'autres dispositifs en faveur du logement reposant déjà sur ce principe redistributif (comme l'allocation logement ou les logements sociaux). Il faciliterait l'accès à la propriété pour les plus jeunes et les plus modestes. 

La fonction redistributive de l'impôt, qui vise à réduire ou à atténuer les inégalités de revenus (et ou de capital) des ménages est certes un marqueur de notre système politique. Mais en taxant des revenus fictifs, n'atteindrait-on pas les limites de ce système ? Pourquoi, alors, ne pas envisager d'imposer tous les avantages en nature ou implicites dont peuvent bénéficier les contribuables : par exemple le propriétaire d'un véhicule que l'on opposerait à celui qui a recours à la location longue durée. Pourquoi ne pas imposer, au nom de l'équité, ceux qui, justement perçoivent une forme de redistribution (ex : accès subventionnés aux services publics). En poussant le raisonnement jusqu'à l'absurde : pourquoi ne pas imposer les « enfants fictifs » ? Une famille dépense en moyenne 7000 € par an et par enfant. Les ménages sans enfants réalisent ainsi une économie, pourquoi ne pas les taxer sur leurs « dépenses imputées » ?

Un autre paradoxe ressort de cette étude, pourtant récente : celui d'un certain anachronisme. Le paradigme actuel, sur lequel elle est sensée s'appuyer, n'est plus celui des années 1914 à 1965, encore moins celui des années 2000 qui a connu la plus grosse flambée des prix immobiliers. Certes, bien que publiée en décembre 2023, elle a été réalisée en 2022, au pic du marché immobilier. Mais comment ne pas tenir – suffisamment - compte du contexte et des perspectives auquel le marché immobilier est aujourd'hui et sera demain confronté : baisse des prix, maintien des taux d'intérêt à des niveaux relativement élevés, augmentation à venir de la taxe foncière (réévaluation en cours des valeurs locatives), coût croissant de la rénovation énergétique… ? 

Au fond, par-delà les faiblesses techniques, économiques ou philosophiques que d'aucun pourra reprocher à ce type d'étude, on sent bien qu'en toile de fond c'est tout un modèle de société qui est en jeu. Souhaite-t-on une société de locataires ? Car quel intérêt resterait-il à l'accession à la propriété si détenir son logement chèrement acquis ne libérait finalement pas de la charge d'un « loyer » (l'impôt) ? Sans compter l'inflation induite des loyers d'habitation qui ne ferait qu'aggraver les tensions du marché du logement.

Si une telle réforme devait trouver un jour écho auprès de nos hommes politiques et de notre législateur (un tel système s'applique dans certains pays comme l'Islande, les Pays-Bas ou la Suisse), elle heurterait sans doute des principes constitutionnels fondamentaux qui cimentent notre contrat social : celui du consentement à l'impôt ; celui du droit de propriété, ancré dans l'esprit des Français et dans le marbre de la Constitution depuis la Révolution de 1789, qui s'accommoderait mal avec le fait de devoir acquitter un droit d'usage pour jouir de son bien. Sauf à considérer comme Proudhon que « la propriété, c'est le vol ». Ou à prophétiser, comme l'a fait Klaus Schwab, fondateur et Président du Forum Économique Mondial : "Vous ne posséderez rien et vous serez heureux".

La résolution des inégalités de richesse mériterait une réflexion de fond, trans-partisane et débarrassée de toute arrière-pensée idéologique quant à la fonction et au poids de la fiscalité pour les ménages, à commencer par ceux qui possèdent un patrimoine immobilier, déjà largement mis à contribution (l'actualité jurisprudentielle et législative récente ne fait que le confirmer). Un vœu pieux ?

 

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David Tavernier 

Ingénieur Patrimonial
ODDO BHF Banque Privée
Rédigé le 15 février 2024

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