Exil fiscal : un eldorado en trompe-l’oeil ?

Patrimoine
09.17.2024
7 Minutes

La crise économique et budgétaire que traverse notre pays, plongé dans un contexte politique incertain suite à la dissolution de l’Assemblée, réveille les réflexes ataviques d’une partie de la classe politique qui prescrit pour notre déficit bien mal en point, l’inévitable remède de la hausse des impôts. Il était même question pour un candidat premier ministre de « tondre » les classes les plus aisées. Dans ce contexte, l’impôt sur la fortune, marqueur historique, fait figure d’éternel symbole. Le nouveau Gouvernement est en cours de formation et le prochain projet de loi de finances ne devrait être déposé que début octobre avant de suivre un parcours législatif qui verra immanquablement les amendements fiscaux « fuser », dont l’épicentre devrait se situer au sein de l’alliance du Nouveau Front Populaire (NFP). Il est encore prématuré d’entrevoir la politique fiscale que suivra la France durant ce début de législature mais une chose est sûre : les esprits sont d’ores et déjà échauffés.

Aux annonces de hausse de la fiscalité touchant les plus riches, les contribuables concernés répondent souvent par des réflexes « immunitaires » tout aussi pavloviens, le plus radical étant celui de l’exil fiscal.  Comme en 2012 avec le retour au pouvoir de la Gauche, les annonces qui ont suivi les élections législatives cet été semblent avoir ranimé une certaine tentation du « grand large », dont il est trop tôt aujourd’hui pour deviser si elle se cantonnera au stade des réflexions (parfois poussées) ou si elle se traduira par des départs concrets.

L’exil fiscal, celui qui est guidé par des considérations principalement ou purement fiscales, reste un épiphénomène au regard de l’ensemble des situations d’expatriation (pour des raisons qui peuvent être liées aux études, à l’activité professionnelle, à la famille…). Même s’il n’est ni récent, ni anecdotique, son ampleur et ses effets, notamment économiques, se sont toujours montrés difficiles à apprécier, comme le relevait une étude de l’institut Rexecode réalisée en 2017, pour des raisons à la fois conceptuelles et statistiques. 

Force est de constater que le contexte qui prévaut aujourd’hui est différent de celui que nous avions connu depuis le début des années 80 :  jusqu’alors les programmes fiscaux visant à imposer davantage les riches contribuables ne manquaient pas de ramener la France à son isolement idéologique, la solution d’une taxation des « super riches » figure aujourd’hui au tout premier plan de l’agenda international. Comme le relève le Think Tank Terra Nova dans une note du 28 juin dernier, « le vent est en train de tourner et la coalition internationale en faveur d’une imposition accrue des très grandes fortunes se renforce, tant dans les pays anciennement industrialisés que dans les pays en développement ». 

L’idée d’un impôt mondial des plus riches, qui figure dans un rapport commandé par le G20 et rendu le 25 juin dernier, avec le soutien de la France, illustre, certes de façon plutôt symbolique, ce changement de paradigme. De nombreux pays ont d’ores et déjà adopté des mesures visant à davantage taxer les hauts revenus / patrimoines, comme l’Espagne qui a instauré au titre des années 2023 et 2024 une taxe nationale de solidarité au-delà d’un patrimoine de 3 millions d’euros (avec des taux compris entre 1,7% et 3,5%). 

À l’inverse, d’autres pays sont devenus moins accommodants avec les expatriés fortunés et ont abrogé ou significativement modifié certains de leurs régimes fiscaux spécifiques qui visaient à attirer ces contribuables étrangers en leur offrant des modalités d’imposition avantageuses. C’est par exemple le cas du Portugal dont le gouvernement a supprimé, à compter du 1er janvier 2024, le régime dit des « résidents non habituels » qui avait attiré jusque-là de nombreux français (et pas seulement des retraités), du Royaume-Uni qui s’apprête à faire de même en abolissant (à compter du 6 avril 2025) le régime des « non-domiciled » qui, lui aussi, avait séduit les ressortissants étranger, notamment français, ou encore de l’Italie qui, depuis le 10 août 2024, a doublé le montant de l’impôt forfaitaire que doivent acquitter les étrangers fortunés qui entendent bénéficier du régime spécifique des « résidents à hauts revenus ».

Pour les candidats au départ, le transfert de résidence, s’il ne constitue plus un chemin de croix à l’heure de la mondialisation et de la libre circulation des personnes et des biens, en particulier au sein de l’Union Européenne (UE), n’en demeure pas moins contraignant. Nous ne visons pas ici les nécessaires considérations familiales, matérielles et même psychologiques qui doivent présider à toute prise de décision de délocalisation, car il s’agit avant tout d’une « aventure humaine », mais les obstacles et garde-fous qui s’érigent sur le chemin du migrant fiscal.

La France, comme certains autres pays, s’est dotée d’un dispositif anti-évasion fiscale, qui vise à dissuader les départs de France, ou à tout le moins à capter une partie de la matière imposable au moment où le contribuable franchit la frontière. Instaurée en 1999, supprimée puis réintroduite en 2011, l’Exit Tax est un mécanisme qui permet de taxer les plus-values latentes (ou en report d’imposition) constatées au moment du départ sur certains actifs sociaux, en particulier les titres de sociétés ou valeurs mobilières de placement, dès lors que leur pourcentage excède 50% des bénéfices sociaux d’une société ou que leur valeur est supérieure à 800 000 €.

Certes, dans de nombreux cas l’impôt ainsi calculé n’est pas dû immédiatement mais uniquement en cas de réalisation des actifs concernés dans un certain délai suivant le transfert de résidence (à défaut de quoi un dégrèvement intervient). Un mécanisme de sursis de paiement est accordé automatiquement en cas de transfert de résidence dans un pays de l’UE ou dans un pays lié avec la France par une convention fiscale prévoyant une assistance administrative et une assistance au recouvrement de l’impôt. Mais dans les autres cas, le bénéfice du sursis de paiement est conditionné à l’octroi de garanties au profit du trésor public. 

Le programme du NFP, relayé par la candidate d’alors au poste ministériel, Lucie Castets, prévoit de « rétablir » l’exit tax. Projet étonnant s’agissant d’un mécanisme pourtant toujours en vigueur depuis plus de 10 ans, mais sans doute convient-il d’interpréter le terme « rétablir » comme signifiant le retour au régime de ce dispositif tel qu’il existait avant son assouplissement par le Président Macron (jugé, comme d’autres mesures, telles la flat tax, comme un cadeau consenti aux contribuables fortunés). 

D’aucuns vont même plus loin dans leur ambition de taxer les plus riches tentés par l’exil en imaginant un système fiscal qui nourrit les fantasmes de la Gauche depuis plusieurs années et que même la droite a un temps évoqué (sous la présidence de Nicolas Sarkozy) : celui de taxer les français expatriés en instaurant une imposition non plus fondée sur la résidence fiscale, principe universel sur lequel est basé la souveraineté fiscale de l’immense majorité des États, mais sur la nationalité, à l’instar du modèle américain. « Il faut aussi que les expatriés fiscaux payent leurs impôts au fisc français », avait lancé Lucie Castets à l’occasion d’une interview donnée le 28 juillet dernier. Un tel projet se heurte toutefois à un constat de bon sens et surtout à un obstacle quasi insurmontable signalé par le député Modem Jean-Paul Mattéi : il ne serait pas justifié de faire contribuer au financement des services publics des personnes vivant à l’étranger qui n’en bénéficient pas. L’obstacle, et non des moindre, est l’infaisabilité d’un projet d’une telle ampleur, qui impliquerait, pour être effectif, de renégocier les quelques 129 conventions et accords fiscaux bilatéraux qui lient la France avec les autres pays. Une gageure. À tout le moins pourrait-il être envisagé d’instaurer, comme d’autres pays l’ont fait (ex : l’Allemagne et la Suède), un impôt français qui toucherait, pendant une durée limitée, les expatriés établissant leur résidence fiscale dans un pays à fiscalité privilégiée.

Au-delà de ces garde-fous avec lesquels il convient de composer, transférer la résidence fiscale du foyer en dehors de France impose, par ailleurs, une vigilance accrue quant à la réalité de ce transfert, tant au regard des critères nationaux définissant le domicile fiscal qu’au regard de ceux établis par les conventions fiscales. La définition de la résidence fiscale, en effet, diffère selon les pays et repose sur des critères dont l’appréciation  qui en est faite par l’administration fiscale comme par les juges s’avère toute aussi subjective qu’objective. Bercy dispose, pour qualifier le lieu de résidence d’un individu, de moyens de contrôle redoutables lui permettant de traquer les transferts de résidence qu’il considèrerait comme fictifs / artificiels, se reposant pour cela sur les critères alternatifs établis par le code général des impôts. Étant précisé, pour tordre le cou à une affirmation fréquente erronée, que la résidence fiscale en droit français ne se définit pas par la durée de séjour dans un pays (la fameuse règle des 183 jours), le séjour étant le critère le plus complexe à appréhender et de surcroit subsidiaire par rapport aux autres. 

Circonscrire l’expatriation à sa dimension fiscale procèderait d’une analyse incomplète des enjeux qu’elle emporte : ses incidences civiles sont importantes et varient en fonction des pays d’accueil et de la durée des séjours, plus particulièrement sur le plan matrimonial et sur le plan successoral. Le couple qui quitte la France devra s’interroger sur le sort à l’étranger du régime matrimonial adopté et celui des dispositions qui ont pu être prises préalablement. L’installation à l’étranger peut-elle conduire à un changement du régime matrimonial ou une appréhension non conforme à ce que souhaitait le couple ? Sera-t-elle de nature à remettre en cause la validité ou l’efficacité des donations que se sont mutuellement consentis les époux en France ?  Certains pays, notamment de culture anglo-saxonne, ne connaissent pas le concept de régime matrimonial en tant que tel. Dans certaines situations, le régime matrimonial préalablement adopté par les époux, qui n’auraient pas désigné de loi applicable pendant ou après le mariage, peut muter et se trouver soumis automatiquement au régime local, indépendamment de la volonté des époux. 

Il en va de même pour une succession intervenant à l’étranger, pour laquelle se posera également la question de la loi qui lui est applicable et des effets (et la validité), au regard du droit étranger, des dispositions que le futur défunt a pu prendre de son vivant.

Faute d’anticipation, les mauvaises surprises civiles peuvent conférer à l’aventure fiscale une dimension moins idyllique. 

Le transfert de la résidence fiscale à l’étranger, au-delà de sa dimension humaine et matérielle, peut ainsi s’avérer semé d’embuches et d’imprévus tant fiscaux que civils. Il convient de prendre la mesure de l’ensemble des incidences patrimoniales qu’il entraîne et doit même être précédé par une réflexion quant aux solutions qu’offrent de nombreux dispositifs fiscaux français, souvent peu connus et mal utilisés, qui peuvent souvent rendre l’herbe toute aussi verte que celle du voisin. Une décision aussi solennelle et impactante pour la famille, l’activité professionnelles et le patrimoine que celle de quitter la France ne doit être conçue que selon un processus parfaitement maitrisé et planifié.

David Tavernier 

Ingénieur Patrimonial
ODDO BHF Banque Privée
Rédigé le 17 septembre 2024

Author