Hors du bureau, mais pas hors de danger
Bien que cela n’ait jamais été pleinement expliqué par la théorie financière, de nombreux épisodes de turbulences boursières prennent racine en été, lorsque les marchés sont peu liquides. Rappelez-vous l’été 2024 : un rapport décevant sur l’emploi américain en août, suivi par d’autres données négatives, avait ravivé les craintes de ralentissement économique. Fin juillet, la Banque du Japon avait relevé ses taux, provoquant le dénouement des opérations de portage sur le yen et une chute de plus de 12 % du principal indice japonais en une seule séance. Autre exemple récent : en 2022, le discours musclé de Jerome Powell à Jackson Hole, fin août, avait été suivi en septembre par une nouvelle hausse des taux de 75 points de base. Cette même année, le S&P 500 avait reculé de plus de 4 % en août, puis de 10 % en septembre. Coïncidence ou prophétie autoréalisatrice, il nous faut rester vigilants – même allongés sur notre transat entre deux baignades – et garder un œil sur les dix risques qui, selon nous, pourraient déstabiliser les marchés cet été.
☑ La roulette russe des droits de douane
Alors que les lettres continuent d’être envoyées aux partenaires commerciaux des États-Unis, l’entrée en vigueur des droits de douane qui devait avoir lieu le 2 avril a été repoussée au 9 juillet, puis au 1er août… et la liste des pays concernés ne cesse de s’allonger. Qui sera le prochain à être taxé ? Et à quel niveau ? Personne ne le sait. La seule certitude, c’est que l’incertitude persiste, comme en témoignent les effets d’annonce contradictoires, et l’impact sur l’économie est sans doute loin d’être totalement absorbé. Concernant l’Union européenne plus spécifiquement, l’instauration de « droits de douane réciproques » de 30 %, couplés aux droits sectoriels déjà en place (acier, aluminium, automobile), pourrait réduire le PIB de la zone euro de 1,2 % en 2026. Il convient donc de suivre de près l’issue des différentes négociations commerciales… et de rester connecté aux réseaux X et Truth Social.
☑ La saison des résultats
La saison des résultats du deuxième trimestre a débuté, et l’Europe mérite une attention toute particulière. Le consensus anticipe un recul de -2 % des bénéfices par action (BPA) au deuxième trimestre, un plus bas depuis cinq trimestres, sous l’effet de chiffres d’affaires plus faibles et d’un euro fort. Dès lors, deux choses sont à considérer. Premièrement, surveiller les secteurs très exposés aux États-Unis (services aux consommateurs, pharmaceutique, médias, logiciels, construction), et l’impact du taux de change sur ces secteurs. Deuxièmement, suivre l’évolution des révisions de BPA pour 2025. Les séquences bénéficiaires ont été divisées par deux depuis avril, et nous nous attendons à de nouvelles révisions dans les mois à venir. Une croissance négative des BPA en Europe ne serait pas surprenante pour 2025 (le consensus table encore sur +2 %), et pourrait bien mettre un coup d’arrêt à l’appétit des investisseurs pour la zone Europe.
☑ Les données officielles et les indicateurs avancés américains
La résilience de l’économie américaine surprend. L’indice de surprises économiques de Citi montre que les données officielles, qui mesurent l’activité passée, sont meilleures que prévues. En revanche, les indicateurs avancés, signalent une détérioration continue de l’activité économique. Les statistiques publiées ces prochaines semaines pourraient contribuer à réduire cet écart. L’inflation constitue le principal risque pour les marchés, les indicateurs avancés suggérant que les entreprises américaines entendent répercuter une partie des hausses de coûts liées aux droits de douane sur leurs clients. Si l’effet inflationniste des droits de douane se concrétise, les anticipations de baisses de taux pourraient s’ajuster rapidement (le consensus intègre actuellement une baisse de 48 points de base supplémentaires en 2025). Un tel scénario enverrait un signal négatif aux marchés financiers.
☑ Le marché obligataire américain et l’avenir de Jerome Powell
La « One Big Beautiful Bill » de Donald Trump a été adoptée et creusera le déficit américain de 3 000 à 5 000 milliards de dollars sur dix ans. Maintenant que le plafond de la dette américaine a été relevé, le Trésor peut à nouveau émettre des obligations. D’importants volumes d’émissions à court terme pourraient ainsi inonder les marchés dans les semaines à venir. L’enjeu sera également de surveiller la façon dont les différentes adjudications sont absorbées, les obligations à duration longue étant de plus en plus vulnérables aux surprises inflationnistes, aux ajustements de la Fed et aux mouvements de capitaux. Une résurgence des craintes budgétaires n’est pas à exclure, dans un monde où les marchés obligataires restent fragiles. Les sources de vulnérabilité se sont multipliées ces derniers mois, et incluent une trajectoire budgétaire incontrôlée aux États-Unis, un désamour des investisseurs vis-à-vis des actifs américains, l’érosion du statut de valeur refuge des bons du Trésor américain, et enfin la volonté affichée de Donald Trump de limoger Jerome Powell, remettant en cause l’indépendance de la Fed.
☑ Le bazooka allemand
Concernant le plan de relance budgétaire de l’Allemagne, les investisseurs doivent suivre de près la mise en œuvre des mesures de relance, le discours des entreprises exposées au grands plans d’infrastructure et de défense, et les actes concrets des responsables politiques. Durant la première quinzaine de juillet, les plus grandes entreprises allemandes se sont par ailleurs engagées à investir un montant record de 300 milliards d’euros dans le pays d’ici 2028 – soit l’équivalent de 7 % du PIB. Cet engagement est toutefois conditionné à la mise en place de réformes structurelles de la part du gouvernement fraîchement constitué. Un sommet avec Friedrich Merz est prévu le 21 juillet pour formaliser ce nouveau partenariat public-privé. Appuyée par un programme de baisses d’impôts de 46 milliards d’euros, cette initiative pourrait marquer un tournant stratégique en Allemagne. Toute déception sur ce front raviverait toutefois le risque d’une Europe une nouvelle fois décevante.
☑ Le positionnement des investisseurs
À rebours du récit dominant d’une forte hausse de l’exposition des investisseurs aux actions, notamment chez les particuliers, les investisseurs des deux côtés de l’Atlantique affichent un positionnement neutre sur les actions. Cela signifie que les marchés restent vulnérables à tout catalyseur négatif. L’absence étonnante de correction boursière liée à l’escalade tarifaire suggère en effet que chaque signal négatif pourrait provoquer une réaction baissière des marchés actions. Le contexte de marchés actions atteignant des niveaux record renforce notre position prudente. Aux États-Unis en particulier, la concentration des flux sur les « 7-Magnifiques » et les valeurs liées à l’IA (notamment les semi-conducteurs) est très élevée. Même si cela se justifie par une certaine résilience de la croissance des BPA, les investisseurs gagneraient à rester vigilants sur ce point.
☑ Les développements dans l’intelligence artificielle (IA)
En matière de dépenses d’investissement (Capex), l’intelligence artificielle s’apparente à une véritable course au gigantisme. L’enjeu qui sous-tend l’IA réside dans les montants d’investissements et leur monétisation. Amazon, Microsoft, Google et Meta ont annoncé leur intention d’investir 300 milliards de dollars dans l’IA en 2025. Cet été, les investisseurs devront surveiller deux éléments. D’une part, les commentaires des dirigeants sur les Capex liés à l’IA lors de la saison des résultats. Un fléchissement des efforts d’investissement serait perçu comme un signal négatif. D’autre part, les déclarations sur l’impact de l’IA sur les gains en productivité et les marges des entreprises. Morgan Stanley estime que les gains de productivité liés à l’IA pourraient augmenter les marges nettes des sociétés du S&P 500 de 30 points de base en 2025.
☑ Les montagnes russes des prix du pétrole
Un déclencheur potentiel de turbulences estivales serait une forte hausse des prix du pétrole provoquée par un choc géopolitique. Même si le risque immédiat d’un choc majeur semble écarté, il demeure une menace pour les marchés. Une nouvelle flambée des prix du pétrole exacerberait les pressions inflationnistes et pourrait contraindre les banques centrales à reconsidérer toute baisse de taux supplémentaire. Fondamentalement, nous ne voyons aucune raison justifiant une envolée des prix du pétrole. De la même manière, rien ne justifie non plus un repli sous les 60 $/baril, le seuil de rentabilité actuel des producteurs américains de pétrole de schiste se situant autour de 65 $/baril.
☑ Le taux de change EUR/USD
Sur un horizon long-terme, nous pensons que le marché baissier ne fait que commencer pour le dollar. Toutefois, la dépréciation de 15 % du dollar face à l’euro depuis le 10 janvier 2025 commence à peser sur les exportateurs européens. Une phase de consolidation nous semble donc plus que probable dans les mois à venir. Entre temps, il conviendra de surveiller de près la pression croissante de l’effet change sur la marge des exportateurs européens. La saison des résultats en cours devrait fournir de précieux indices aux investisseurs. L’impact d’un dollar plus faible sur l’inflation importée aux US mérite également une attention particulière cet été.
☑ Le plan de relance chinois
Bien que la croissance économique de la Chine reste conforme aux attentes, le ralentissement progressif de la demande intérieure devrait conduire les autorités chinoises à introduire des mesures de relance supplémentaires dans les mois à venir. Celles-ci pourraient inclure un relèvement des quotas d’émission d’obligations d’État, davantage de prêts bancaires pour financer des projets d’infrastructures, des baisses du taux directeur, ainsi que des subventions pour soutenir la consommation des ménages. Des risques importants persistent également dans le secteur immobilier. Un nouveau repli du secteur nuirait fortement à la croissance, et jetterait le doute sur la capacité des autorités chinoises à redresser son marché immobilier. A ce titre, l’absence de mesures de soutien claires au secteur immobilier pourrait peser sur les actions chinoises.
Comment se positionner ?
- Actions : Nous maintenons une légère surpondération, mais recommandons de réduire le risque relatif (« tracking-error ») et de se rapprocher d’un positionnement neutre. Compte tenu des valorisations relativement élevées et du haut niveau d’incertitude, nous évitons de prendre des risques actifs trop importants. Les hausses de droits de douane et les incertitudes qui les accompagnent pourraient freiner la croissance américaine. Nous préférons donc conserver une légère sous-pondération sur les actions américaines. Nous identifions davantage de potentiel sur le marché européen. Au sein de l’Europe, nous privilégions la zone euro, et plus particulièrement les petites et moyennes capitalisations. Nous sous-pondérons notre exposition aux actions britanniques en raison d’une incertitude politique accrue.
- Taux : Nous allongeons la duration. Dans les pays Core de l’Europe, la poursuite du processus de désinflation et du cycle d’assouplissement monétaire de la BCE confortent notre positionnement. Les fondamentaux et le sentiment de marché se sont améliorés dans les pays périphériques de l’Europe, où nous maintenons une légère surpondération. Aux États-Unis, la duration légèrement longue sur les obligations souveraines constitue une couverture tactique vis-à-vis de notre exposition actions, dans la perspective de données macroéconomiques décevantes au second semestre 2025. Nous restons toutefois pleinement conscients que les déficits budgétaires et une inflation plus élevée représentent des risques structurels à long terme pour les États-Unis.
- Crédit : Nous sommes constructifs sur le risque de crédit, les craintes de récession mondiale s’étant atténuées. Bien que les niveaux de spreads demeurent bas, les niveaux de rendement offrent encore de bonnes opportunités de portage. D’un point de vue rendement/risque, nous continuons de privilégier les obligations Investment Grade et High Yield à duration courte, dont le potentiel de baisse reste limité.
- Devises : nous maintenons notre conviction que l’euro va s’apprécier face au dollar, les indicateurs de long terme tels que la parité de pouvoir d’achat (PPA) et la balance courante signalant une appréciation de la monnaie européenne. Un ralentissement de la croissance aux États-Unis pourrait également peser sur le dollar.
Conclusion : Reposez-vous… mais gardez un œil ouvert
Si l’été rime souvent avec faible liquidité et après-midis indolents, l’histoire montre que les marchés peuvent subitement s’agiter, au moment où l’on s’y attend le moins. La liste des facteurs potentiels de volatilité est longue : incertitudes commerciales, résultats décevants, fragilité du marché obligataire, risques géopolitiques… Aucun de ces éléments ne déclenchera sans doute à lui seul une correction majeure, mais la combinaison d’un affaiblissement des données économiques, et de surprises politiques, économiques, ou commerciales pourrait amplifier la réaction des marchés. L’investisseur avisé profitera donc de la trêve estivale tout en se tenant prêt à agir rapidement. Car bien souvent, le calme de l’été est celui qui précède la tempête.
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