Quand le « Big Beautiful Market » rencontre la « Big Beautiful Bill »
Une brise légère souffle sur les marchés depuis quelques semaines, en dépit de l’incertitude géopolitique. Certes, la cacophonie politicienne est omniprésente, mais les signaux positifs — microéconomiques, macroéconomiques — à l’origine du « Big Beautiful Market » qui se dessine semblent encore plus puissants. Au fond, les investisseurs ne recherchent plus le calme : ils ont appris à naviguer dans un environnement chahuté. Le rebond récent illustre un marché qui s’adapte plus vite qu’il ne se fracture. La politique peut apporter son lot de surprises, les taux longs peuvent monter fortement, mais le roseau plie mais ne rompt pas, du moins pour le moment. S’il faut s’interroger sur les raisons de la hausse des marchés financiers, la principale question devient : « Jusqu’où les marchés peuvent-ils grimper ? ». Il n’est pas certain que la « Big Beautiful Bill » promise par Donald Trump soit d’un grand soutien pour les marchés.
Pourquoi les marchés actions sont-ils proches des plus hauts ?
Les conditions de marché se sont stabilisées après les fortes turbulences survenues dans le sillage du « Liberation Day ». La plupart des actifs financiers évoluent désormais au-dessus des niveaux observés avant l’investiture de Trump. Avant d’évaluer la probabilité d’une nouvelle phase haussière sur les actifs risqués, examinons les trois principaux moteurs du récent rebond.
Dynamique toujours solide du côté des indicateurs avancés (« soft data ») : malgré la mise en place des droits de douane et les volte-face de Trump, la résilience des indicateurs d’activité a permis aux marchés actions de dépasser l’inquiétude générée par le « Liberation Day ». Les indices PMI du mois de mai confirment un regain de confiance, lié à l’apaisement des craintes concernant les droits de douane américains. L’indice composite américain a battu les prévisions, passant de 50,6 à 52,1, porté par un rebond de l’industrie et des services (à 52,3 chacun). En Allemagne, le climat des affaires s’est lui aussi légèrement amélioré, corroborant les signaux émis par d’autres indicateurs de confiance relatifs à l’activité dans la zone euro. Dans l’ensemble, la probabilité d’une récession a nettement reculé ces dernières semaines et les prévisions de croissance pour 2025 ont été légèrement revues à la hausse dans les principales régions.
Le narratif sur l’impact des droits de douane s’est estompé : certes, le risque de turbulences subsiste, mais les marchés s’y sont habitués et réagissent désormais moins violemment aux menaces de droits de douane, désormais perçues comme peu crédibles dans leurs excès. Par exemple, le Stoxx Europe 600 a perdu moins de 1 % après la menace de droits de douane à 50 % sur l’Europe en mai, contre une baisse de 5 % après l’annonce de tarifs à 20 % lors du « Liberation Day ». Nous pensons qu’en scénario central, les anticipations de résultats d’entreprises et les prévisions de PIB intègrent désormais un niveau de droits de douane réciproques de 10 %, assorti de mesures sectorielles spécifiques — contre 15-17 % actuellement, un pic inédit depuis des décennies —, ce qui explique une grande partie du récent rebond.
Un regain d’optimisme sur les résultats : les entreprises ont affiché une croissance solide de leurs bénéfices au premier trimestre 2025, à +10 % pour le S&P 500 et +2 % pour le Stoxx Europe 600. Mais c’est surtout le ton des dirigeants d’entreprises et leurs anticipations de croissance qui ont surpris positivement. Cette saison de résultats a entraîné une révision à la hausse des séquences bénéficiaires des deux côtés de l’Atlantique.
Nous pensons que le rebond récent des marchés peut se poursuivre, en particulier en Europe. Les dirigeants des différents pays souhaitent une issue favorable aux négociations commerciales. L’incertitude liée aux droits de douane est de plus en plus intégrée comme une réalité structurelle plutôt qu’un élément de surprise. L’assouplissement monétaire récent (ainsi que les anticipations de baisses futures) continue de se diffuser dans l’économie, et contribue à soutenir le cycle de crédit. Cela dit, nous avons identifié plusieurs points de vigilance.
Après la « guerre commerciale », la « guerre du capital » ?
Le premier point de vigilance réside dans le projet de loi « One Big Beautiful Bill », qui prolongerait les baisses d’impôts de 2017 et introduirait de nouvelles mesures fiscales et budgétaires. Si cette « Big Beautiful
Bill » est adoptée, il est possible que les actions en bénéficient, ce qui compenserait les effets négatifs d’une
hausse des taux. Toutefois, le diable se cache dans les détails…L’un des détails préoccupants est la Section 899 du projet de loi, actuellement à l’étude au Sénat. Elle prévoit des sanctions fiscales envers les personnes, entreprises et gouvernements issus de pays accusés par les Etats-Unis de pratiques fiscales « déloyales » (comme la taxe sur les services numériques, dite taxe GAFA, en Europe). Cette taxe de rétorsion se matérialiserait par une surtaxe de 5% sur le rendement des investissements étrangers aux US, qui pourra augmenter chaque année jusqu’à un maximum de 20% au-dessus du niveau actuel. Cette surtaxe s’appliquerait aussi bien aux revenus d’activité (bénéfices) qu’à certains revenus dits « passifs » (comme les dividendes par exemple). Seraient concernés : les personnes physiques non américaines, les gouvernements étrangers, les fonds souverains (explicitement cités dans le texte), les entreprises détenues à plus de 50 % par des non-Américains, ainsi que les trusts étrangers. Cette mesure est censée générer 116 milliards de dollars de recettes sur les dix prochaines années. Une autre disposition du texte prévoit une taxe sur les transferts de fonds vers l’étranger, qui pourrait rapporter 22 milliards de dollars supplémentaires sur la même période. Au-delà des chiffres, ces deux mesures remettent en question l’avenir de la libre circulation des capitaux. Réinvestir les excédents de dollars aux États-Unis n’a ainsi plus rien d’une évidence pour les acteurs étrangers. Tout d’abord, en raison de l’incertitude entourant la politique de l’administration Trump. Ensuite, parce qu’il apparaît de plus en plus clairement que les promesses présidentielles de maîtrise des dépenses publiques sont chimériques. Enfin, parce que toutes les mesures de Trump sont liées et motivées par un même fil conducteur : celui de « faire payer les étrangers ».
Rester attentif aux taux longs américains
Comme nous l’avions souligné dans nos deux derniers éditoriaux (Mon nom est Bond, Donald Bond, publié en avril 2025, et Habemus Donald Trump pour encore 1 300 jours, publié en mai 2025), le deuxième point préoccupant concerne l’évolution des taux longs. Avec un rendement nominal des bons du Trésor américain à 10 ans désormais revenu à 4,5 %, il est important de noter que la prime de terme atteint son plus haut niveau depuis 2014. De plus, la « Big Beautiful Bill » a recentré l’attention des marchés sur les inquiétudes liées à la soutenabilité budgétaire des États-Unis. Rappelons que le pays cumule un déficit jumeau représentant entre 10 % et 11 % du PIB, dont environ 6,5 % pour le déficit budgétaire et près de 4 % pour le déficit de la balance courante. Toute nouvelle flambée de la volatilité des taux, potentiellement déclenchée par un ajustement de la prime de terme lié à des annonces fiscales, pourrait déstabiliser des valorisations actions élevées. Sur les 20 dernières années, on observe que les actions américaines tendent à s’apprécier parallèlement à une hausse des taux longs lorsque les anticipations de la croissance du PIB sont orientées à la hausse. En revanche, le marché actions est à la peine lorsque la hausse des taux est due à d’autres facteurs, comme des inquiétudes sur un éventuel dérapage budgétaire. Quelle que soit l’environnement macro-économique, les marchés actions ont historiquement souffert lorsque les rendements obligataires augmentaient de plus de deux écarts-types en un mois. Les dernières semaines suggèrent que nous sommes dans ce type de configuration. Autre point de préoccupation lié aux rendements américains : le niveau élevé des taux réels, qui renchérit le coût du capital. Sachant que les actions représentent environ 30 % du patrimoine total des ménages américains, des taux réels durablement élevés pèsent sur le cycle du crédit, sur la consommation, et au final … sur la croissance.
Comment se positionner ?
Actions : nous maintenons une légère surpondération, mais recommandons de réduire le risque relatif (« tracking-error »). Nous restons prudents sur les actions américaines pour six raisons. Premièrement, malgré la bonne tenue des indicateurs avancés (« soft data »), l’écart avec les données officielles (« hard data ») reste significatif, et le ralentissement de l’activité à venir pourrait coïncider avec une remontée des chiffres de l’inflation aux États-Unis à partir de juillet. Deuxièmement,les rendements obligataires pourraient repartir à la hausse en raison d’un poids de la dette US jugé de plus en plus inquiétant, affaiblissant davantage le dollar. Troisièmement, la croissance des séquences bénéficiaires attendue à +10 % en 2025 et +14 % en 2026, paraissent optimistes. Quatrièmement, avec un ratio cours/bénéfices à 22x à horizon 12 mois, la valorisation des actions américaines reste tendue. Cinquièmement, le rebond des marchés s’est accompagné d’un repositionnement massif des investisseurs sur les marchés actions : la part des actions dans le patrimoine des ménages américains atteint un niveau record. Sixièmement, le statut de « valeur refuge » des actifs américains commence à être remis en question, et le mouvement de rotation des États-Unis vers l’Europe et les marchés émergents pourrait s’accélérer. Nous maintenons une légère surpondération sur les actions européennes. L’expansion budgétaire allemande via des plans d’investissement dans les infrastructures et la défense (avec un impact estimé de 1,3 à 1,6 % sur la croissance du PIB allemand en 2026) ainsi que les
baisses d’impôt attendues pour les entreprises, estimées à 50 Mds€, constituent des sources claires de soutien. Nous restons relativement confiants quant à une issue positive des négociations commerciales. Au sein de l’Europe, nous privilégions les grandes et moyennes capitalisations, avec un biais net en faveur de l’Allemagne. S’agissant des secteurs d’activité, la défense pourrait connaître quelques prises de bénéfices, mais nous recommandons de rester structurellement exposé à cette thématique. Les valeurs financières, les matériaux de construction, la chimie et le secteur des services aux collectivités figurent parmi nos convictions. D’un point de vue tactique, nous privilégions les marchés émergents. La région reste attractive en termes de valorisation, et sous-détenue. Au sein des pays émergents, nous restons positifs sur les entreprises technologiques chinoises.
Taux : nous avons décidé d’allonger tactiquement la duration en début de mois, à la fois aux US et en Europe, en raison du processus de désinflation en cours, récemment confirmé par la faiblesse de l’IPC américain, qui alimente les discussions sur les futures baisses de taux aux US.
Crédit : nous devenons un peu plus constructifs sur le risque de crédit, les craintes de récession mondiale s’étant quelque peu atténuées. Cela dit, les niveaux de spreads demeurent bas et ne compensent qu’en partie un possible ralentissement de la croissance, en particulier sur le segment du High Yield à duration longue. À l’inverse, les segments Investment Grade et High Yield à duration courte continuent d’offrir, en relatif, des rendements attractifs et un potentiel de baisse limité. Nous maintenons une préférence pour le crédit européen par rapport au crédit américain.
Devises : nous maintenons notre opinion légèrement baissière sur le dollar, les indicateurs de long terme tels que la Parité de Pouvoir d’Achat (PPA) ou la balance des paiements plaidant en faveur d’une appréciation de l’euro. En outre, un ralentissement de la croissance aux États-Unis pourrait affaiblir davantage le billet vert.
Conclusion : le « mur d’inquiétude » n’a pas disparu, mais les investisseurs ont appris à le gravir
Les marchés financiers ont fait preuve d’une remarquable résilience depuis le « Liberation Day », mais les niveaux actuels du « Big Beautiful Market » traduisent de plus en plus un excès d’optimisme, au détriment d’un excès de réalisme salvateur. Par ailleurs, le positionnement des investisseurs n’est plus prudent : le sentiment de marché devient nettement plus haussier, en dépit de certains risques baissiers non encore résolus.
S’il existe encore des opportunités ciblées, notamment en Europe et sur les marchés émergents, les conditions générales plaident désormais pour une approche plus prudente et équilibrée. Oui, le ciel semble être la seule limite, mais n’oublions pas que les cochons (les marchés) ne volent pas.
Affaire à suivre.
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