Cessions d'actions sur un marché boursier étranger : quelle fiscalité pour les gains de change ?

Actualités & Presse

Fiscalité 15/09/2020

Cessions d'actions sur un marché boursier étranger : quelle fiscalité pour les gains de change ?

ODDO BHF5 Minutes

Même si quantité d'entreprises françaises cotées sont très exposées aux marchés internationaux et que le CAC 40 concentre plusieurs entreprises leaders mondiales dans leur domaine, il est de plus en plus fréquent que des épargnants achètent des actifs financiers sur des marchés étrangers, en particulier en dehors de la zone euro. L'achat d'actions sur un marché boursier étranger s'inscrit dans des logiques qui peuvent être variées : chercher une exposition sur des valeurs peu (ou pas assez) représentées sur les marchés français et européens (on pense notamment aux valeurs américaines liées à la révolution numérique et qui sont devenues en moins de 20 ans des géants planétaires), diversifier ses investissements, rechercher une certaine sécurité de ses placements en sortant de la zone euro et de sa monnaie éponyme...

Une telle exposition à une (ou plusieurs) devise étrangère expose l'investisseur à la fluctuation de cette dernière  au regard de l'euro qui se traduira in fine par un gain ou une perte de change.

Si les enjeux financiers sont généralement bien appréhendés par l'investisseur, les enjeux fiscaux, eux, le sont moins en pratique, d'autant plus qu'aucun texte ne définit précisément la méthodologie à suivre pour calculer la fiscalité applicable à ces gains ou pertes de change. 

Le gain de change peut constituer une composante importante du gain financier réalisé par l'investisseur. Ce dernier peut même ne réaliser aucune plus-value (voire une perte) sur la revente de ces titres étrangers mais réaliser un gain de change... taxable.

Comment ces gains (ou pertes) de change sont-ils aujourd'hui appréhendés d'un point de vue fiscal ?  

La méthode retenue par l'administration fiscale :

Pour l'administration fiscale, le gain ou la perte de change résultant de la cession de ces valeurs mobilières, constitue une composante de la plus ou moins-value imposable ainsi réalisée. 

Pour les cessions réalisées en bourse, la doctrine administrative précise que « le prix de cession s'entend toujours du cours de transaction » (la même règle s'applique au prix d'acquisition). Et de préciser : « En cas de transaction sur un marché situé hors de France, ce cours doit être converti en euros par application du taux de change applicable à la date de l'opération » (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-10-10 n°20). Autrement dit, le prix d'acquisition et le prix de cession doivent être convertis en euros en retenant le taux de change applicable à l'opération. La détermination de la plus-value procède donc du calcul suivant :

- Conversion en euros du prix d'acquisition en appliquant le taux de change en vigueur à la date d'acquisition ; puis
- Conversion en euros du prix de cession en appliquant le taux de change en vigueur à la date d'acquisition ; puis
- Calcul de la plus-value par différence entre le prix de cession et le prix d'acquisition ainsi calculés, libellés en euros.

Ce n'est pas cette méthode qui avait été retenue par des contribuables requérants dans une affaire contentieuse qui les opposait à l'administration : ces derniers ont cédé en mars 2015 des actions d'une société américaine, acquises en janvier 2013. 

Pour déterminer leur gain, ils ont procédé selon la méthode suivante :

- Calcul, en devises (dollars), de la plus-value de cession réalisée ; puis
- Conversion en euros de cette plus-value en appliquant le taux de change en vigueur à la date de la cession des titres. 

L'administration fiscale a remis en cause ces modalités de calcul en retenant celle que nous venons de décrire plus haut, à savoir appliquer au prix d'acquisition le taux de change en vigueur à la date d'achat et appliquer au prix de cession le taux de change en vigueur à la date de cette opération. La plus-value de change calculée par l'administration fiscale était bien supérieure au montant calculé par les contribuables qui lui ont reproché, en procédant ainsi, de mettre à leur charge une fiscalité portant sur un gain qu'ils n'avaient pas encaissés.

Pour illustrer les enjeux fiscaux liés à la méthode à retenir pour tenir compte des effets de change dans une transaction sur valeurs mobilières étrangères, reprenons les chiffres de l'espèce :

Prix d'acquisition des actions de la société américaine : 284 643 USD

Prix de cession des mêmes actions : 366 972 USD

Les contribuables estimaient que la plus-value réalisée, de 82 329 USD, devait être convertie en euros en appliquant le taux de change en vigueur à la date de cession des titres, ce qui aboutissait à une plus-value de 55 040 €.

Pour l'Administration fiscale, l'application du taux de change à chacune des opérations (achat et cession), avant de calculer la plus-value par différence entre les montants ainsi obtenus, aboutissait à une plus-value imposable de 135 563 €.

La différence, et l'enjeu fiscal, peut donc être de taille !!

La méthode retenue par les juges du fond : 

Le Tribunal administratif de Paris puis la Cour administrative d'appel de Paris devant lesquels le contentieux a été déféré ont rejeté la demande de décharge des contribuables. La Cour d'appel, dans sa récente décision du 31 juillet 2020 (n°19PA02095) a considéré, à l'instar de la position administrative et sur le fondement des articles 150-O D du CGI et 74-O B de l'annexe II du même code, que le gain ou la perte de change résultant de la cession de valeurs mobilières constitue une composante (imposable) de la plus ou moins-value réalisée.

La Cour d'appel a estimé en conséquence que les prix d'acquisition et de cession à retenir pour déterminer la plus-value réalisée par les contribuables requérants devaient être convertis en euros par application des taux de change applicables respectivement à la date d'acquisition et à la date de cession des titres en cause.

Cette décision nous parait constituer un revirement de jurisprudence, du moins s'agissant de la fiscalité des particuliers. En effet, dans une décision rendue le 16 mai 2007 (n°05-1153) par la Cour administrative d'appel de Nancy, sur laquelle les requérants dans l'affaire citée plus haut s'étaient peut-être appuyés, les juges avaient adopté une position différente quant au traitement fiscal applicable aux fluctuations de change dans une opération portant sur des valeurs mobilières étrangères. Prenant alors à contrepied l'administration fiscale, la Cour administrative d'appel de Nancy avait estimé que le gain de change sur une cession de titres détenus en devises étrangères ne faisait pas partie intégrante de la plus-value réalisée par un particulier. 

« ... l'administration a intégré, à tort, dans l'évaluation des plus-values réalisées, l'effet de l'évolution à la hausse du taux de change ; que le calcul de ces plus-values doit être en conséquence rectifié en effectuant d'abord le calcul des plus-values réalisées en francs suisses et en convertissant en francs français le résultat obtenu, par application du taux de change à la date de la cession des actions ». 

Mais dans une autre décision, rendue en matière d'impôt sur les sociétés cette fois, les juges du fond (Cour administrative d'appel de Versailles, 19 décembre 2019, n°17VE01521) ont, comme ceux de la Cour d'appel de Paris, considéré que les gains ou pertes de change réalisés à l'occasion de la cession de titres (de participation) constituent une composante de la plus ou moins-value réalisée à cette occasion.

En attendant une éventuelle décision du juge suprême, le Conseil d'Etat, qui fixerait « dans le marbre » les modalités de calcul des gains et pertes de change dans les opérations portant sur des valeurs mobilières étrangères réalisées par des particuliers, la prudence s'impose.  

Ces atermoiements jurisprudentiels sont le reflet de certaines incertitudes et incohérences qui continuent de caractériser la fiscalité applicable aux opérations générant des gains ou pertes de change.

Les gains (ou pertes) liés à des opérations portant directement sur les devises (donc non liés à des opérations sur valeurs mobilières) relèvent, en principe, du régime d'imposition des plus-values et moins-values sur biens meubles, pour autant que cette opération sur devises ne procède pas d'une activité habituelle. Un gain de change relève donc d'un régime différent de celui applicable à une plus-value portant sur des valeurs mobilières étrangères : dans le premier cas, par exemple, la perte ne sera pas imputable sur les gains réalisés par ailleurs sur d'autres biens, alors que dans le deuxième cas la moins-value sera imputable. 

Il serait souhaitable que le législateur vienne clarifier et/ou unifier les régimes fiscaux applicables aux gains liés à des opérations impliquant les devises étrangères afin d'édicter des règles claires et cohérentes pour les contribuables. 



David Tavernier
Ingénieur Patrimonial
Rédigé le 15 septembre 2020

Partager

Nos actualités

L’heure de vérité pour les dettes publiques Perspective économique 18/04/2024

L’heure de vérité pour les dettes publiques

Les crises économiques laissent en héritage un fardeau de dettes publiques. Les phases d’expansion devraient être mises à profit pour que les Etats se désendettent et reconstituent des marges de stabilisation budgétaire. C’est plus facile à dire qu’à faire. Voyons ce qui s’est passé après les deux dernières grandes crises.

La fin du rêve américain Point marchés 13/04/2024

La fin du rêve américain

Nous avouons entretenir un “biais” stratégique en faveur du marché américain et les 15 dernières années nous donnent raison. Depuis la fin de la crise financière de 2007-2008, l’Europe n’a surperformé que durant 27 mois, soit un peu plus de deux ans. La surperformance structurelle des États-Unis par rapport à l’Europe s’explique principalement par une dynamique des bénéfices par action plus robuste outre-Atlantique.

Mythes et réalités Point marchés 13/03/2024

Mythes et réalités

Les grandes capitalisations de croissance animent de nouveau le marché, principalement aux États-Unis, où les "Magnificent Seven", à l'exception de Tesla, dominent les gains du S&P 500 en 2024. Les valeurs technologiques américaines continuent ainsi de se démarquer, surperformant le S&P500 de 7,4 % depuis octobre 2023.